Professeur, Histoire du Droit, Univ. Paris 10-Nanterre.
Jugement et vérité dans l'Empire romain. Variations autour de l'autorité de la chose jugée
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Résumé
L'autorité de la chose jugée est un concept fort ancien qui se rencontre dans de nombreux droits de l'Antiquité. Il revient aux jurisconsultes romains d'avoir posé le principe avec l'élégance propre aux classiques : res iudicata pro veritate accipitur. Au XVIIIe siècle, Pothier affirme que « la principale espèce de présomption iuris et de iure est celle qui naît de l'autorité de la chose jugée ». Le principe passe dans le code civil et se retrouve dans plusieurs droits européens. La loi tient pour vrai ce qui a été jugé et, à l'appui de cette présomption de vérité, il est courant d'invoquer le propos d'Ulpien et la continuité d'un principe de droit romain. Pour autant, la relation du jugement à la vérité était-elle si courante à Rome ?
La représentation du jugement est loin d'être uniforme dans l'Antiquité romaine. Le lien entre jugement et vérité n'appartient pas à la tradition classique. La déclaration d'Ulpien intervient dans le contexte bien spécifique d'une affaire qui concernait l'état des personnes. Le jugement doit tenir lieu de vérité, pro veritate accipitur, car il est constitutif d'un état qui doit être reconnu par tous. Faut-il alors en déduire, comme cela est souvent fait, que dès l'Empire prévaut l'idée d'une vérité judicaire ? Nous partageons le sentiment de Pugliese que la déclaration d'Ulpien est une déclaration de circonstance dont il ne faut pas exagérer la portée.
En revanche, une pratique vulgaire contribuait à propager le sentiment que le jugement doit exprimer la vérité. Ainsi les prières judiciaires de l'île de Bretagne par lesquelles les justiciables sollicitaient la justice de leur dieu. Le jugement du dieu ne tient pas lieu de vérité, il est la vérité. Au Haut Moyen Âge, les ordalies perpétuent ce verdict divin (verum dicere).
La renaissance du droit romain ressuscite la science juridique. Les ordalies sont interdites mais demeure la conviction de ce lien nécessaire entre le jugement et vérité. Le jugement donné par les hommes ne peut pourtant être tenu pour l'expression de la vérité pure. Sont alors redécouverts les propos d'Ulpien, et la présomption de vérité judiciaire haussée au rang de principe. La réminiscence de l'adage fonde la portée nouvelle de l'autorité de la chose jugée.
La vérité judiciaire est une construction des juristes qui répond tant bien que mal à l'aspiration des justiciables que le jugement révèle la vérité. Le 4 mars 1998, la 3e Chambre civile de la Cour de Cassation déclarait : « le principe de l'autorité de chose jugée est général et absolu et s'attache même aux décisions erronées » (3e Ch. civ. 4 mars 1998). L'autorité du droit serait-elle désormais telle qu'elle puisse même prétendre couvrir l'erreur judiciaire ?