Depuis plusieurs années déjà, l’ISTA l’étude du territoire de la colonie romaine de Philippes (Macédoine orientale - Grèce) constitue une des opérations majeures des recherches menées dans le cadre de l’Axe III de son projet. 

Cette opération a pour objectif de contribuer à l’approfondissement de nos connaissances sur les modalités de construction de l’espace rural de cette colonie et d’évaluer l’héritage des occupations grecque, macédonienne dans l’organisation de son territoire. En raison des conditions historiques de son occupation, des spécificités de son environnement naturel ainsi que de la richesse et de la diversité de son corpus documentaire, ce territoire constitue un terrain unique parmi les colonies romaines d’Orient pour la mise en œuvre d’une étude croisée des données textuelles, archéologiques et paléo-environnementales.

Dans cette perspective, 3 grands axes de recherche ont été définis : 

  1. Recenser, dater et caractériser les sites ruraux du territoire afin de combler les lacunes sur l’occupation du sol du territoire qui nous privent aujourd’hui de disposer d’une carte précise et exhaustive de la répartition spatiale de l’habitat agraire. 
  2. Identifier les itinéraires des grands axes de circulation et comprendre les logiques de leurs implantations dans le territoire. 
  3. Produire des outils numériques destinés à la gestion et la diffusion des données 

Recenser, dater et caractériser

Phase 1/ Cette initiative s’est avérée nécessaire à la lecture de la carte archéologique partielle dressée aujourd’hui essentiellement à partir du recensement des entités archéologiques (sites et indices de sites) répertoriées dans les différentes sources bibliographiques (monographies régionales, articles, récits des voyageurs, rapports de fouilles…). Toutefois, en dehors de quelques exceptions, aucun de ces sites n’est associé à ses coordonnées spatiales. Leur, emplacement est souvent évoqué de manière descriptive en indiquant les éléments topographiques de leur environnement, leur positionnement approximatif par rapport aux villages actuels ou encore l’appellation locale du lieu-dit de leur découverte qui, dans la majorité des cas, n’est pas enregistrée dans la liste officielle des toponymes dressée pas les services géographiques de l’état grec. 

Compte tenu de l’imprécision pesant sur la localisation et/ou la caractérisation de plusieurs sites présents sur cette carte provisoire, l’ISTA s’est engagée de mettre en œuvre des campagnes annuelles de prospections géo-archéologiques sur le terrain (d’une durée moyenne de 7 à 10 jours) avec une double finalité : a) relever les coordonnées GPS et essayer de mieux définir la nature des établissements ruraux déjà connus, b). localiser de nouveaux sites ou indices de sites sur les secteurs insuffisamment explorés jusqu’à présent.

Durant la première phase de cette opération (2018 -2019 et 2022) les campagnes de prospections-inventaires menées par l’ISTA se sont concentrées sur les sites ruraux de la plaine de Philippes. Ces missions sur le terrain, ont permis ainsi de corriger, compléter et préciser les données d’environ 110 établissements ruraux sur un total de 286 déjà recensés et de localiser 67 nouveaux sites ou indices de sites essentiellement dans les secteurs nord/ouest et sud/est du centre urbain de la colonie. 

Phase 2/ Dans la continuité des enquêtes déjà engagées sur le recensement des établissements ruraux situés dans la plaine philippienne, les investigations géo-archéologiques, amorcées en 2019 et poursuivies depuis 2023 sont désormais concentrées sur les habitats fortifiés des zones montagneuses de la Macédoine oriental. Il s’agit d’un réseau des fortification liées, directement ou indirectement, aux gisements métallifères de ces zones, ressources dont l’exploitation a été un facteur déterminant de l’évolution politique, économique, sociale et culturel de cette région de la Macédoine durant l’Antiquité. Enceintes protégeant de zones d’extraction de minerais, tours destinés à la surveillance de la région, habitats fortifiés abritant sans doute les communautés qui fournissaient la main d’œuvre pour l’exploitation des gisements, plus d’une centaine de ces types d’établissements couronnent les sommets des montagnes de la Macédoine orientale). Par leur grand nombre (109 au total), l’état de conservation des leurs vestiges, le caractère particulièrement imposant des leurs structures défensives, et l’amplitude chronologique de leurs occupations ces établissements disposent d’un potentiel archéologique remarquable. Particulièrement bien visibles sur les photographies aériennes, ces sites n’ont pas pu faire toutefois l’objet de véritables prospections systématiques car leur accessibilité, en raison des contraintes imposées par le relief et la topographie montagneuse, est une tâche particulièrement ardue. En effet ces sites sont souvent perchés sur des crêtes de haute altitude avec des pentes abruptes couverts d’une végétation particulièrement dense rendant ainsi leur prospection laborieuse et complexe. Parmi les 109 fortifications répertoriées sur les photographies aériennes 11 ont pu faire l’objet d’un premier diagnostic dans le cadre de nos prospections.

Ces fortifications se composent de murailles solides (certaines enceintes sont larges d’environ 3m) et d'enceintes entourant des bâtiments et des structures liées à l'exploitation minière. Les murailles sont souvent construites en pierres sèches, sans mortier, et dotées parfois des tours de guet et des portes d'entrée associées. En dehors du relevé précis de leur périmètre, de nombreuses informations concernant leur extension, les dimensions et l’architecture de leurs fortifications et la datation de leurs différentes phases d’occupation ont pu être collectées. 

Mais la découverte la plus spectaculaire des nos campagnes de prospection menées en 2023 et 2024 est la localisation d’un réseau de routes pavées permettant la communication entre les sites fortifiés et les zones d’extractions minières. Avant cette découverte, la communication entre les habitats fortifiés des montagnes et les zones minières était largement méconnue. Construites avec des pierres locales soigneusement taillées certains tronçons de ces routes, cachés parfois par la végétation de garrigue sont d'une étonnante conservation. Les pierres sont disposées avec une grande précision, témoignant d'une organisation logistique avancée et d’une très grande maîtrise technique.  Elles suivent des lignes droites là où la topographie le permet, et des courbes adaptées aux pentes lorsque le terrain devient plus accidenté. Leurs bâtisseurs ont su exploiter au mieux le relief des zones montagneuses, aménageant des tronçons de route avec des murs de soutènement et des dispositifs pour éviter l’érosion. 

La qualité de ces routes et la précision avec laquelle elles ont été construites témoignent d'un haut niveau de compétence en génie civil et montre une conception réfléchie et une connaissance approfondie du terrain constitue pour surmonter les contraintes géographiques des zones montagneuses.

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 Identifier les itinéraires

Pour pouvoir produire une représentation graphique détaillée de la répartition spatiale de tous les indices d’occupation des différentes zones explorées, chaque objet prélevé sera géoréférencé à l’aide d’un GPS à précision centimétrique et enregistré en temps réel dans le SIG développé par l’ISTA pour l’exploitation des données archéologiques du territoire de Philippes.

La campagne que nous avons engagée à 2018 et poursuivie à 2022 était entièrement centrée sur l’identification du tracé de la Via Egantia, la grande voie romaine qui traversait la majeure partie du territoire philippien. Cette opération avait un triple objectif : inspecter les grands alignements de buissons présents sur son tracé présumé et particulièrement bien lisibles sur les photographies aériennes et les images satellites, enregistrer les informations spatiales des sites identifiés sur son itinéraire, effectuer, enfin, le long de son tracé une série de mesures topographiques susceptibles de nous éclairer certains aspects de son système métrologique. 

Ces investigations ont permis de mettre au jour, dans les communes de Rodolivos et de Mikro Souli, les vestiges d’une ancienne route pavée dissimulés dans une dense végétation d’arbustes et de buissons. Par son profil bombé et la disposition des blocs de son empierrement cette structure, conservée sur environ 1.8km, présente de grandes similitudes avec les tronçons de la voie egnatienne exhumés en Thrace occidentale. Mais faute de disposer les autorisations nécessaires, aucune intervention archéologique n’a été réalisée. 

Le deuxième objectif majeur des recherches sur cette grande voie romaine de communication était de procéder à une série de mesures topographiques visant à vérifier sur le terrain la fiabilité des enquêtes métrologiques menées à partir de documents cartographiques et de photographies aériennes et plus particulièrement la localisation du capitum viarum de son itinéraire entre la cité de Philippes et la commune actuelle d’Amygdaléônas. Cette portion de son parcours a été choisie car elle réunit toutes les conditions pour mener une telle recherche. La première et incontestablement la plus important du point de vue méthodologique est la découverte in situ d’un milliaire indiquant la distance de VI milles (8.870 m environ) depuis Philippes. Exhumé dans le village d’Amygdaléônas, cette borne milliaire qui porte nom du proconsul Gaius Egnatius , est la seule à ce jour à avoir été trouvée en place en Macédoine orientale. Partant l’emplacement originel du milliaire et équipés d’un GPS différentiel pour mesurer avec précision la distance nous avons parcouru à pieds l’itinéraire de la voie en direction de la cité de Philippes. Dans cette partie du territoire philippien le tracé de la Via Egnatia ne souffre d’aucune ambiguïté. Jalonné de nombreux vestiges archéologiques et marqué par la présence de plusieurs ponts dont certains sont antiques, son itinéraire se confond avec l’ancienne route ottomane qui assurait la liaison entre le littoral et la plaine de Drama.

Traversant en ligne droite, à lisière des anciens marécages de Philippes, les terrains d’une petite plaine alluviale ce grand axe de communication, devenu un simple chemin vicinal, reste aujourd’hui parfaitement praticable. D’après les mesures enregistrées sur le terrain par le GPS le point indiquant la distance de VI milles romains (8.870 m environ) se situe à quelques mètres seulement (l’écart observé est de l’ordre de 0.4%) de la grande porte orientale des fortifications de Philippes, communément appelée « Porte de Néapolis ». Cette recherche expérimentale, outre de pouvoir témoigner de la qualité et de la précision du travail sur le terrain des ingénieurs romains, permet aussi de valider la fiabilité de cette démarche méthodologique sur laquelle nous pourrons s’appuyer pour situer les emplacements originels d’autres milliaires du territoire philippien. 

Enfin, toujours dans le cadre de cette mission, 17 sites le long de la Via Egnatia connus par la bibliographie ont pu être relocalisés et enregistres avec leurs coordonnées précises. 

D’ores et déjà, les recherches de l’ISTA sur la voie egnatienne ont permis de restituer l’intégralité de son parcours à travers la Macédoine orientale et une synthèse compète (40 pages et 41 cartes) de ces résultats seront publiés en 2025 dans le volume « Pistyros, a Thasian emporion on the Aegean Thracian coast : 10 years of archaeological research ».

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Produire des outils numériques

L’Institut des Sciences et Techniques de l’Antiquité (UR 4011) a initié le développement d’une plateforme Web SIG destinée à la gestion de la base de données collectées dans le cadre du projet de l’établissement de la carte archéologique du territoire de Philippes. Il s’agit de permettre à la communauté scientifique d’accéder facilement, par le biais d’un simple navigateur internet, au corpus des informations archéologiques de l’habitat rural du territoire philippien. Deux moteurs de recherches, l’un cartographique, l’autre thématique, permettent d’opérer des requêtes à la fois spatiales et attributaires sur l’ensemble des données et de visualiser les résultats obtenus en fonction des critères de sélection choisis sur le fond cartographique associé à la plateforme. Inspiré dans son architecture générale par la plateforme « Chronique des fouilles en ligne » élaborée par l’Ecole Française d’Athènes et la British School at Athens cette application a pour objectif d’offrir aux chercheurs :

- un accès web à des données spatialisées actuelles et anciennes

- un accès aux informations par requêtes

- la possibilité d’intégrer de nouvelles informations.

L’utilisateur a le choix d’opérer ses requêtes à partir de deux moteurs de recherches différents : soit un moteur cartographique qui, en fonction du zoom choisi, permettra de sélectionner un ou plusieurs sites d’un secteur géographique ; soit via une interface de recherche multicritères contenant plusieurs champs interrogeables se présentant sous la forme d’un menu déroulant, d’une liste de mots-clés ou d’un champ de texte libre.

Le moteur de recherche multicritères offre la possibilité de combiner, au moyen des opérateurs booléens ET (« tous les critères ») et OU (« au moins un critère »), plusieurs critères pour la formulation d’une recherche complexe. Toutes ces requêtes sont renvoyées vers une base de données composée, dans sa forme actuelle, d’une quinzaine de tables contenant les données attributaires et descriptives des sites archéologiques recensés. Les résultats d’une recherche affichent la liste des tous les sites répondant aux critères de tri. La finalité des deux moteurs intégrés dans cette plateforme Web SIG est de permettre à l’utilisateur d’accéder aux métadonnées des sites en fonction des critères de sélection choisis et d’afficher leur localisation sur le fond cartographique.

Pour chaque site, ces métadonnées sont présentées sous la forme d’une notice contenant plusieurs champs avec des informations telles que le secteur géographique de sa localisation, son toponyme, les phases de son occupation, des mots-clés définissant la nature de ses vestiges, ses références bibliographiques, etc. Pour rendre interopérable ce Web SIG avec d’autres plateformes de données ouvertes, les mots-clés descriptifs utilisés dans le champ associé à la caractérisation des sites sont alignés au référentiel PACTOLS-Sujet de la base bibliographique de la Fédération et Ressources sur l’Antiquité (FRANTIQ) dont l’ISTA constitue un des membres fondateurs et un des principaux fournisseurs de données. Signalons enfin que chaque notice est accompagnée, quand une documentation iconographique est disponible, des images associées au site concerné sous la forme de vignettes cliquables afin de pouvoir afficher leur agrandissement, optimiser ainsi leur visualisation et renforcer la compréhension des structures observées et l’interprétation du contexte sitologique. Piloté par l’ISTA, ce projet est mené en collaboration avec la Maison de l’Homme et de l’Environnement « Claude Nicolas Ledoux » (USR 3124) dont les ingénieurs disposent d’une solide expertise, reconnue depuis fort longtemps, dans le domaine du traitement et de la gestion de données spatiales.

Enfin, il est important de signaler que cette plateforme, en dehors de sa finalité scientifique, est conçue aussi comme un outil de sensibilisation au patrimoine archéologique de la région destiné à la population locale et un support de valorisation de l’image du territoire auprès des visiteurs. Elle répond ainsi parfaitement au besoin du développement des ressources numériques culturelles exprimé par les collectivités territoriales et les institutions publiques impliquées dans la promotion du patrimoine régional.

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