In memoriam
Pierre MONAT
(1934-2020)

 

Pierre Monat, qui fut pendant des décennies Professeur de latin à l’université de Besançon, est décédé en juillet 2020. Ses anciens élèves, étudiants et collègues évoquent son souvenir.

Pierre MONAT était un éminent professeur, un authentique savant, mais aussi un pilier porteur de l’Institut Gaffiot, un collègue attentif à ses étudiants comme à ses collègues, toujours à l’écoute des uns et des autres, un grand Monsieur.
Des dix années que j’ai passées à ses côtés comme collègue, je retiens en particulier sa modestie, son extrême discrétion, sa disponibilité et par-dessus tout sa profonde intimité avec les Pères de l’Eglise qui, plus d’une fois, après les cours, lors d’échanges amicaux dans son bureau, m’a ouvert des approches que je n’avais pas soupçonnées. Sa connaissance des textes, la rigueur de ses analyses et la générosité de ses remarques bousculaient parfois les thèses académiques et nous en riions ensemble.
Il serait en effet inexact de réduire Pierre Monat au sérieux de ses études et de sa fonction : il ne dédaignait pas la plaisanterie. Une anecdote le confirmera. Le ménage du bâtiment de la rue Chifflet laissait à désirer depuis… trop longtemps. Pour appuyer nos demandes insistantes auprès du doyen, je suis arrivée un matin avec chiffons et lave-vitres. Pierre Monat a posé le cours qu’il revoyait, a ouvert les fenêtres et s’est mis avec moi à l’ouvrage, sous les applaudissements étonnés des étudiants. Le lendemain une batterie de personnels de service a terminé le travail. Un simple sourire de sa part a salué la victoire.
Comment oublier un homme, un professeur, de cette stature ?

Nicole Fick, Professeur émérite de l’UBFC

 

À Monsieur Monat,

Certaines personnes marquent votre parcours, des personnes que vous croisez brièvement et qui laissent une empreinte particulière dans votre vie, des personnes qui sont présentes à un moment opportun et qui donnent un sens particulier à une situation que vous traversez, des professeurs qui vous enseignent avec enthousiasme leur matière, d’autres qui, en plus de cela vous reconnaissent et vous acceptent tels que vous êtes et vous font prendre confiance en vous. M. Monat fait pour moi partie de ces personnes.
Loin d’être élitiste dans sa pédagogie, il avait l’art de transmettre son savoir érudit avec humilité et générosité à ses étudiants. Sa passion pour le latin et la littérature latine était communicative.
Je n’étais pas une étudiante modèle et mes lacunes étaient patentes mais M. Monat savait mettre en valeur les qualités de chacun. Son accompagnement et sa pertinence m’ont éclairé à plusieurs égards.
En qualité d’enseignante, il m’a appris à devenir patiente avec moi-même et je garde en mémoire un de ses adages qui prend tout son sens si l’on en tient compte : on n’est pas bon professeur, on le devient lorsqu’on développe son expérience et il ne suffit pas pour cela de distribuer l’intelligence de l’érudition, il nous faut combiner cette dernière avec l’intelligence du cœur pour transmettre ce que l’on sait.
M. Monat, je vous remercie d’avoir été ce professeur éclairé et éclairant, je vous remercie d’avoir su mettre votre enseignement au service de l’humour et enfin, de m’avoir permis de me sentir légitime dans mon cursus universitaire lorsque je doutais.
Aujourd’hui encore, je pense à ce que vous m’avez transmis lorsque j’enseigne et j’en ressens de la gratitude.

Maryline Chenu, professeur de Lettres, collège Victor Hugo, Besançon

 

Pierre Monat était de ces professeurs passionnés et passionnants qui entraînent leurs élèves avec eux sur les chemins de la connaissance et de la réflexion. Au Lycée Rouget de Lisle de Lons-le-Saunier je n’ai été son élève qu’une seule année. Je l’ai retrouvé plus tard comme collègue au sein de l’A.R.E.L.A.B. et de son groupe de recherche. De ces deux rencontres je garde le souvenir d’un maître attentif et inventif qui trouvait toujours le moyen de montrer qu’au-delà de la morphologie et de la syntaxe, dans les mots et leur agencement il y a du sens, il y a la vie. Je lui dois une bonne part de l’enseignant que j’ai été ensuite.

Dominique Cauquil, Professeur honoraire de Lettres classiques, Lycée de Lons-le-Saunier

 

J’ai beaucoup appris de Pierre Monat en bien des domaines fort différents. Il était d’abord pour moi, dans la décennie 1975-1985, celui qui, en matière de pédagogie du latin, avait toujours une idée d’avance et, si j’ose dire, un tour dans son sac : nouvelles manières d’aborder tel ou tel texte, en mêlant le réalisme et le bon sens à l’humour et à l’inattendu ; ce dont il faisait profiter tous ceux qui le souhaitaient dans les « stages MAFPEN » de l’époque, dans les publications de l’ARELAB à laquelle il apporta beaucoup dès sa création, dans les conversations aussi. Nous étions nombreux à tirer du bénéfice, dans nos classes de lycée ou de collège, de l’expérimentation allègre à laquelle se livrait avec talent le professeur bisontin (lequel composa pour l’ARELAB, plusieurs années de suite, un agenda qui connut beaucoup de succès, truffé de citations latines, de sentences et de proverbes qui reflétaient l’humour pince-sans-rire de l’auteur). Quelqu’un, donc, pour qui la « pédagogie » et la « didactique » n’étaient pas prétexte à développements abstraits et fumeux, mais se vivaient de manière spontanée et créative dans l’enseignement de tous les jours. Lorsqu’ensuite, à partir des années 1985, j’ai eu à le côtoyer de plus près dans la section de latin de Besançon, il a été un initiateur irremplaçable dans une faculté des Lettres dont il connaissait tous les secrets du fonctionnement et tous les acteurs depuis bien des années, car il y débarquait chaque matin sur le coup de 7h30 ou 8h. Il a été aussi un interlocuteur à la grande disponibilité pour parler de questions techniques comme celles de l’ecdotique (mot qu’il trouvait du reste un peu prétentieux), toujours abordées de manière très concrète à partir d’exemples précis. Ce savant avait le don de rendre abordables et simples les sujets et problèmes dont il s’occupait. Je l’ai rappelé dans le dernier compte rendu que j’ai fait d’un de ses plus récents ouvrages, l’Histoire profane de la Bible, que j’ai lu en m’instruisant autant qu’en m’amusant. Il y menait une entreprise de (c’est le mot qu’il avait forgé lui-même pour la désigner) « débondieudisation » où la netteté et le sérieux du propos (Pierre Monat était un exceptionnel connaisseur de la Bible, de ses sources et de sa réception) étaient soutenus par des tableaux très pédagogiques et n’étaient pas du tout gênés par des amusettes glissées ça et là : on voit par exemple Pierre Monat éclairer la tournure stylistique vanitas vanitatum par le très moderne « moche de chez moche » ou s’amuser aux avatars du Cantique des Cantiques Ct 1, 15 (« noire et belle » devenu « noire mais belle » avant de rendre enfin à une femme la possibilité d’être à la fois noire et belle…).
J’ai eu le plaisir de travailler en collaboration avec Pierre Monat pour l’édition de deux textes en particulier, tous deux d’Isidore de Séville, quoique de genre bien différent : le livre XV des Étymologies (sur les villes célèbres dans l’antiquité, la ville antique et tardo-antique en général, avec ses constructions publiques et privées, la campagne et ses divisions agraires) pour une publication ISTA en 2004 ; le livre VII de la même encyclopédie (Dieu, les anges, les saints) pour une publication aux Belles Lettres en 2012. Et cela me rappelle que, si j’ai un peu travaillé sur Isidore (éditant successivement plusieurs livres des Étymologies dans la collection ALMA aux Belles Lettres), c’est à cause de Pierre Monat, parce que je m’étais d’abord intéressé à l’évêque de Séville en tant qu’il fournit des phrases et des phrases de latin très simple, sur des sujets intéressants, que l’on peut utiliser dans l’enseignement du latin dès les premiers contacts avec des élèves ou des étudiants débutants. Si par ailleurs je suis depuis longtemps tombé dans la marmite « gromatique », c’est encore parce que Pierre Monat, sollicité par les collègues d’histoire ancienne pour une première entreprise de traduction de ces textes, m’y avait entraîné. J’ai donc beaucoup de raisons de lui témoigner de la reconnaissance et de conserver sa mémoire.

Jean-Yves Guillaumin, Professeur émérite, Université de Franche-Comté

 

Pierre Monat a été mon professeur de septembre 1970 à juin 1976, avec deux préparations à l’agrégation pour lesquelles je lui serai toujours reconnaissant. Il s’est tellement dévoué pour la pédagogie du latin, avec des fascicules très utiles, et avec les stages MAFPEN qu’il animait avec dynamisme, humour, esprit critique, et surtout la joie de transmettre. Son pragmatisme, son lien avec le secondaire, étaient très appréciés. Je garderai toujours l’image de quelqu’un d’affable, de généreux, de pertinemment malicieux, qui savait inciter à l’effort en prenant à bras le corps des textes difficiles, et qui était toujours disponible pour aider les professeurs dans leur tâche exigeante pour faire découvrir et aimer la langue latine.
On peut lire dans les agendas que, plusieurs années de suite, il a composés pour l’ARELAB, et qui étaient truffés de citations latines, la phrase de mortuis nihil nisi bene ; mais ce n’est pas cette sententia qui me porte ici à exprimer à ce maître toute ma reconnaissance d’ancien élève, et mon admiration pour le savant qui, vu sa connaissance des sources bibliques, aurait pu faire partie des Septante !

François Jeandel, Professeur honoraire de Lettres classiques, Lycée de Luxeuil

 

Pierre Monat, quelle belle figure d'humaniste ! Je l'ai connu comme collègue militant au sein de ľARELAB où il était un défenseur actif de la cause des Langues Anciennes. Et puis c'était surtout le formateur brillant de stages Mafpen auxquels j'ai assisté à une époque où l'on pouvait profiter pleinement de ces parenthèses culturelles si ressourçantes dans le quotidien du métier d'enseignant. Toujours la bonne humeur, le sourire bienveillant et cette facilité à placer le bon mot où il fallait dans son évocation du monde romain. J'attendais toujours avec impatience ses ponctuations plaisantes à coup de citations de son idole Bède le Vénérable. Un bon mot toujours bien ancré dans le monde actuel ! Pour moi et pour finir, l'hommage le plus fort que je puisse lui rendre dans cet univers religieux primitif qui le passionnait, c'était son sens aigu de la laïcité.

Pierre Léger, professeur honoraire de Lettres classiques