Colette Annequin (1938-2020)
Colette Annequin est décédée à Lyon le 10 mars 2020 à l’âge de 81 ans des suites d’une longue maladie comme on dit. Avec Colette c’est un pan de l’histoire du Centre d’Histoire Ancienne de Besançon, devenu l’ISTA au milieu des années 1990, qui s’éteint.
Le texte qui suit écrit en accord avec Jacques son mari et son compagnon scientifique et Muriel leur fille n’a pas le souci de faire une nécrologie dans les règles de l’art mais plutôt un “éloge” au sens que nous lui connaissons à la fois universitaire mais pas trop…
Ce qui a toujours qualifié Colette en dehors – bien sûr – de ses dimensions intellectuelles évidentes ce sont son courage et sa volonté inébranlable. Ces qualités lui ont permis dans des conditions difficiles, de faire des études remarquées au collège de Saint-Claude puis à l’École Normale de Lons-le-Saunier. Elles lui ont permis d’assurer des fonctions d’enseignement dans des villages jurassiens tout en suivant quelques heures de cours à la Faculté des Lettres de Besançon, un jour par semaine… et de passer ses examens avec succès.
Poursuivant ses études dans des conditions difficiles elle a été très vite distinguée par ses maîtres en histoire de l’Antiquité bien sûr mais tout autant en géographie où son aptitude à comprendre et à exposer a été récemment saluée par Paul Claval. Cette volonté, ce courage et aussi cet attrait pour l’ailleurs, pour l’espace et pour le passé se sont exprimés par des voyages lointains alors audacieux dans des conditions matérielles difficiles. Plus tard elle poursuivra ses voyages « entre filles » « en stop » ce qui était fort rare à l’époque, en particulier, vers la Grèce. Reçue à l’Agrégation, nommée au lycée de Nancy puis à celui de Grenoble dans la suite d’un remarquable « diplôme », elle a suivi un projet de recherche avec l’aide précieuse de Pierre Lévêque. Sa thèse d’État sur Héraclès en Occident : mythe et histoire qu’elle soutient à Besançon en 1987 et qui sera publiée en 1989 retrace et ouvre les pistes de ce voyageur infatigable qui circonscrit l’espace méditerranéen et l’ouvre à de nouveaux horizons. Dans la suite, elle publie Héraclès – Melqart à Amrith, Recherches iconographiques Contribution à l’étude d’un syncrétisme, Paris (Publication de l’IFAPO, Librairie orientaliste Geuthner), 1992 et, avec Corinne Bonnet, publie les Actes de trois grands colloques dédiés aux études héracléennes (Héraclès, d’une rive à l’autre de la Méditerranée en 1992 ; Héraclès, les femmes et le féminin en 1995 ; Le Bestiaire d’Héraclès en 1998).
Le choix du sujet de thèse reflète bien son attrait double pour la perception et l’étude du temps historique et de l’espace géographique. Étudier Héraclès et ses travaux, c’était étudier un parcours de voyageur, esquisser les contours à la fois mythiques et bien réels de ce que fut l’Aventure grecque. Car les courses, les exploits et les travaux d’Héraclès dessinaient une approche et une appropriation d’un monde que la mer à la fois divisait et unissait…
En fonction au lycée de Grenoble puis à l’Université elle eut le souci de participer puis de conduire des projets nouveaux, de défendre des perspectives et des parcours qui alors pouvaient se dessiner mais aussi, plus concrètement, de soutenir des collègues dans des positions d’enseignements trop souvent incertaines. Ce double souci l’a conduite à participer aux instances universitaires locales puis, plus encore, nationales.
Il y avait chez Colette une réelle perméabilité entre recherches personnelles et travail collectif, bien illustrée par son souci d’organiser colloques et rencontres, sa participation à des chantiers de fouilles, sa volonté d’encourager les recherches dans l’environnement géographique si particulier des Alpes mais aussi, bien sûr, dans cette vallée du Rhône si archéologiquement essentielle. Cette ouverture l’a conduite à piloter le programme franco-helvético-italien ERICA (Évolutions, Résistances et Identités des Cultures Alpines) qui analyse l’évolution des sociétés alpines au carrefour des courants venus d’Europe et de la Méditerranée. Cette recherche collective a donné lieu à plusieurs publications dont un Atlas Culturel des Alpes Occidentales, Paris (Picard) 2004, un ouvrage sur le pastoralisme (Aux origines de la transhumance, les Alpes et la vie pastorale d’hier à aujourd’hui (avec J.-C. Duclos, alors Directeur du Musée dauphinois), Picard [Paris], 2006) et un autre sur les mines anciennes (en collaboration avec le GEMA et ARC-Nucléart, Archéologie et paysages des mines anciennes : de la fouille au musée, avec M. C. Bailly-Maître et M. Clermont-Joly, Paris [Picard], 2008).
Au-delà s’est ouverte une aventure alors nouvelle, celle d’une « géographie culturelle » qui l’a conduite à s’aventurer plus avant vers des projets et des travaux nouveaux en collaboration avec des géographes parmi lesquels il faut rappeler le souvenir de Maryvonne Le Berre… jusqu’à l’écriture avec Paul Claval d’un ouvrage sur la Méditerranée comme espace reçu mais aussi inventé par les hommes, comme espace fluide qui sépare et unit à la fois, cet espace rêvé mais aussi inventé par les hommes… le monde d’Ulysse ? À cet ouvrage auquel elle a participé avec ardeur et bonheur, elle a consacré ses dernières forces, elle a attendu la publication qui arrivera trop tard… pour elle. Les portes du soir se sont refermées sur le Jardin des Hespérides.
Antonio GONZALES